Clémenceau: bataille juridique sur l'amiante

Publié le par NOUZILLE


A lire: la suite du feuilleton du porte-avions Clémenceau, avec cet article du Monde daté du 1er février, qui rend compte de l'audience du 31 janvier, dont le jugement est attendu le 2 février.

L'amiante du "Clemenceau", entre secret-défense et secret commercial

LE MONDE | 01.02.06 | 14h41  •  Mis à jour le 01.02.06 | 14h41

Il y avait "beaucoup de monde", mardi 31 janvier, dans la petite salle numéro 3 du tribunal de grande instance de Versailles, comme l'a fait remarquer, un brin amusé, le vice-président Marc Janin. Une dizaine d'avocats en tout. L'objet de cette attention ? L'ancien porte-avions Clemenceau, qui fait route vers l'Inde où il doit être démantelé. Et, plus précisément, la quantité d'amiante encore présente à bord. En reste-t-il 45 tonnes, 500 ou 1 000 ? Cinquante tonnes correspondent à"l'équivalent de ce qu'on retire d'une tour de la Défense", rappelle Michel Parigot, président du Comité antiamiante de Jussieu. Plusieurs associations s'opposent à la réalisation de ces travaux en Inde au nom de la santé des ouvriers exposés aux fibres cancérogènes. Elles savent que les conditions de travail sont plus déterminantes que le tonnage traité, mais dénoncent ce qu'elles qualifient de "mensonge" de l'Etat et utilisent la controverse pour tenter de faire rentrer le navire en France.

Le secret du Clemenceau n'a pas été percé à Versailles. L'audience a même pris des allures de poker menteur. Car, dans cette affaire, chacun annonce des chiffres sans dévoiler son jeu. La société de désamiantage Technopure, qui a effectué d'importants travaux à bord, a ainsi affirmé dans la presse française et indienne que le Clemenceau contenait toujours 500 à 1 000 tonnes de produits amiantés. Mais elle n'a pour l'instant fourni aucun document étayant ses dires. Ceci au nom du"secret des affaires", selon l'avocat de l'entreprise, Me Alain Boffard.

Technopure avait été chargée du désamiantage du Clemenceau par la Ship Decommissioning Industry (SDI), elle-même choisie par l'Etat pour mener à bien le démantèlement de l'ancien porte-avions. Après avoir retiré 70 tonnes d'amiante de la carcasse, Technopure a été remplacée par une seconde société, Prestocid. Technopure est aujourd'hui en conflit avec la SDI et lui réclame 3 millions d'euros pour "préjudice commercial subi", a rappelé Me Boffard.

De son côté, l'Etat affirme que 45 tonnes d'amiante restent à bord. A en croire le ministère de la Défense, 115 tonnes ont été retirées par les deux sous-traitants successifs, sur les 160 présentes à l'origine. Là encore, aucun inventaire à l'appui de ces chiffres. A plusieurs reprises, les associations ont demandé une expertise indépendante, mais sans succès. De plus, l'Etat s'oppose à toute divulgation d'information sur le Clemenceau.

Devant le tribunal de Versailles, Me Joël Alquezar, son conseil, a réclamé le blocage d'une expertise ordonnée par ce même tribunal, qui visait à communiquer aux associations les documents que la société Technopure affirme détenir. Sur la même ligne que l'Etat, l'avocat de SDI, Me Jean-Michel Morinière, a parlé d'une mission "impossible" confiée aux experts. "Technopure a travaillé dans seulement dix zones du navire et n'a effectué aucune évaluation de la quantité d'amiante totale. Comment pourraient-ils communiquer des éléments dont ils ne disposent pas ?", a-t-il interrogé.

"On nous oppose d'un côté le secret-défense, de l'autre le secret commercial, a plaidé Me Michel Ledoux, l'avocat d'une des associations. On nous reproche d'essayer d'obtenir des documents incomplets. Mais, dans cette affaire, nous poursuivons un seul objectif : celui de la transparence."Le tribunal doit rendre sa décision jeudi 2 février.
Gaëlle Dupont

-Pour mieux comprendre ce conflit juridique, nous publions ci-dessous le communiqué paru le 30 janvier, la veille de cette audience, émanant de l'Andeva et du Comité anti-amiante Jussieu :

Communiqué de presse 30 janvier 2006
CLEMENCEAU : L’Etat Français ne veut pas d’une expertise sur la quantité d’amiante encore présent dans le porte-avions

C’est un nouvel épisode judiciaire dans l’affaire du Clemenceau, qui se tiendra demain mardi 31 janvier, à 10 heures, devant le tribunal de grande instance de Versailles. L'Etat français assigne les associations (1) qui ont obtenu de ce même tribunal, le 11 janvier dernier, la désignation de deux experts indépendants chargés de procéder à une expertise des documents en la possession de la société Technopure (2) permettant d'évaluer la quantité d’amiante encore présente dans la coque de l’ex porte-avions.
Ainsi, au lieu de jouer la transparence sur cette question très importante pour la santé et la sécurité des travailleurs indiens, le gouvernement choisit une fois de plus de contester une décision de justice en faisant jouer sa tierce opposition et en tentant de faire arrêter l’expertise en cours. Celle-ci devait être rendue avant le 15 février prochain Le gouvernement français exprime lui-même avec le plus grand cynisme ses motivations dans la demande faite au Tribunal: « l'existence d'un tel rapport d'expertise créerait un dommage à l'Etat puisque celui-ci pourrait être présenté à la presse sans ses tenants et aboutissants et surtout être présenté à la Cour Suprême Indienne qui doit statuer sur la légalité de l'importation « CLEMENCEAU » en Inde aux fins de désamiantage » .

Si l'existence d'un rapport d'expertise indépendant est à ce point gênant pour le gouvernement c'est qu'il sait qu'il ment quand il prétend que la coque de l'ex Clemenceau renferme seulement 45 tonnes d’amiante et qu'il veut pouvoir continuer à mentir à la Cour suprême indienne sans risquer d'être contredit. Il a en effet jusqu'à ce jour refusé de fournir un audit indépendant à cette Cour, qui doit rendre son verdict le 16 février prochain et risque de refuser l’accès à ses eaux territoriales à l’ex fleuron de la Marine nationale. Il lui faut donc éviter à tout prix que l’expertise des pièces de la société Technopure qui avait fait une évaluation de la quantité d’amiante présente à bord en vue d’établir ses propositions de devis, puisse être exploitée.
Ce nouvelle manœuvre dilatoire du gouvernement français démontre si cela était nécessaire sa mauvaise foi sur la gestion de ce dossier. En effet, si comme le prétend le ministère de la Défense, il respectait la réglementation française en matière de désamiantage, un repérage dl'amiante et un plan de retrait précis aurait dû être effectué avant le début des travaux et les associations n’auraient pas besoin de recourir à la justice pour connaître la quantité d’amiante à retirer du porte-avion.
L’Andeva et le Comité Anti-Amiante Jussieu mettent en demeure le Premier ministre de produire ces documents pour mettre un terme à ce qui risque d’apparaître bientôt comme un nouveau mensonge d'Etat dans l’affaire de l’amiante, une affaire qui en comporte déjà beaucoup.


Gaëlle Dupont

Publié dans AMIANTE et les suites

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